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Victoria Vinyard

V. V. Voil


Mage l'Éveil v.2


Mon personnage humain créé spécialement pour cette partie.

Londres 1849

Victoria Vinyard, fille de caviste londonien, issue d'une famille de distillateurs de whiskys écossaise, est une jeune femme qui rêve de devenir écrivaine sous son nom de plume V. V. Voil (du nom du loch où sa famille produit). Elle a choisi ce nom pour tenter de surmonter un évènement traumatique survenu là-bas. Elle donne de temps en temps des cours dans un orphelinat pour se constituer un petit pécule et partir de chez ses parents. Elle s'est lié d'amitié avec un groupe d'enfants et fait appel à leur service de temps en temps. Elle cherche à faire publier ses écrits de fictions dans un journal. Elle se sert du cercle des écrivaines futures pour tester ses écrits. Étant la septième d'une fratrie de 13, ses parents lui ont laissé une certaine autonomie et Vivi a profité des études de ses grands frères et sœurs pour voler leur livres et étudier de son côté. Elle touche à tout pour le bien de ses histoires.

Ce personnage souhaitant devenir écrivaine, j'ai décidé d'écrire les histoires qu'elle pourrait tenter de faire publier.

Le première est celle qu'elle a fait lire au Cercle des écrivaines futures, espérant être recommandée par ces lectrices à leur maris éditeurs.

La deuxième est issue de sa première aventure. Elle est évidemment énormément romancée, occultant totalement le rôle qu'elle a eu dans la disparition de l'esprit Xirax... Victoria a ainsi modifié tous les noms et lieux pour conserver l'anonymat des protagonistes. L'aventure originale se situait à Londres, dans un de ses orphelinats.

D'autres histoires arriveront sûrement, selon l'avancement du jeu de rôle Mage l'éveil et l'évolution de V. V. Voil.

01

De la vie et de la mort des Ravenswood

Le château de Ravenswood n’était pas si ancien si on le comparait à d’autres. Construit une centaine d’années auparavant, il ne regorgeait pas encore de multitudes d’histoires familiales délicieusement heureuses ou diaboliquement dramatiques. La famille qui l’avait construit et habité depuis cent ans était tout à fait respectable et d’une dignité qui faisait que tous l’appréciait.

Quatre générations de Ravenswood étaient nés dans les chambres confortables de ce beau château. Si elles avaient vu la vie, ces pièces avaient aussi connu la mort de plusieurs de ces châtelains. Vieillesse, maladie, accouchement, accident de chasse, les raisons en étaient diverses et pourtant semblables : la vie. Nous vivons les instants présents avec force joie et discernement, nous orientant inexorablement vers ce moment où tout finit, tout disparaît.

Dans les ombres du château de Ravenswood, la jeune et délicate Amelia, d’une beauté naïve et douce frissonnait d'effroi. Le tonnerre grondait à l’extérieur, tout proche. La pluie battait contre les vitres, provoquant un vacarme assourdissant dans ce long couloir s’étirant à l’infini, leurs murs de pierre suintant d'une humidité glaciale. La lueur vacillante des chandeliers ne suffisait pas à ramener la lumière qui aurait dû éclairer le château en cette mi-journée.

Un nouveau coup de tonnerre fit sursauter la pauvre enfant, illuminant brièvement sa pâle figure. La dernière née de la quatrième génération serra contre son sein palpitant le médaillon précieux que sa mère bien-aimée, désormais dans la tombe, lui avait confié avant de rendre l'âme. Orné d’une opale noble blanche aux reflets scintillants, ce médaillon ouvrant dévoilait un portrait des parents d’Amelia et deux dates. La première était la date de mariage de John, descendant des Ravenswood alors en étude de médecine et de Mary, jeune fille de la noble famille des Fetherstonhaugh, de grands propriétaires terriens du Northumberland et du Cumberland. La deuxième date était bien plus intéressante et intrigante selon la jolie Amelia. Elle indiquait sa date de naissance qui, étonnamment, était aussi celle de la mort de son oncle George. On lui avait raconté qu’au moment même où elle poussait son premier cri, son oncle poussait son dernier soupir. Elle n’avait jamais réellement cru à cette mystérieuse coïncidence. Certes, son oncle était mort le jour même de sa naissance mais certainement pas à l’heure précise de sa venue au monde. La mort et la vie n’avaient pu souffler exactement au même moment dans ce château. C’est à la naissance de son neveu que la curiosité de la jeune femme fut attisée. Ce jour-là, alors qu’elle et sa belle-mère veillaient sur son pauvre père malade, Amelia vit les yeux de celui-ci s’entrouvrir et un fin sourire se dessiner sur ses lèvres avant de se figer pour l’éternité. Au même instant, elle entendit retentir quelques chambres plus loin, un cri de nouveau-né absorbant l’air dans ces petits poumons pour la première fois.

Était-ce donc vrai ? Un nouveau Ravenswood prenait la vie d’un ancien à son arrivée dans le monde ?

Amelia souhaitait une réponse à cette question. Sa belle-mère, tout à son chagrin, ne répondrait pas à cette interrogation. La jeune fille avait donc décidé de chercher les réponses dans la bibliothèque familiale où était conservé l’arbre généalogique.

L’air était devenu humide et froid. La matinée avait pourtant été douce, de légers rayons de soleil ayant même percés les nuages grisonnants. Amelia frissonna à nouveau, de fraicheur et d’émotions contradictoires. Curiosité, impatience, peur se mélangeaient en elle, attisant des sensations qu’elle n’avait jamais ressenti jusqu’ici. La porte de la bibliothèque lui sembla une épreuve presque insurmontable. Alors même qu’elle l’avait poussé des centaines, peut-être des milliers de fois sans ne serait-ce qu’y penser, aujourd’hui, elle la redoutait comme la porte des enfers. Un grincement sinistre se fit entendre lorsqu’enfin l’enfant terrifiée osa pousser la grande porte. La bibliothèque n’avait pas changé ; tout était à sa place. Des rangées de livres s'alignaient dans des étagères de bois sombre. La bougie d’Amelia projetait des ombres dansantes sur les tranches en cuir brun, rouge ou noir des livres. Elle s’approcha du pan du mur où était peint l’arbre généalogique de sa noble famille. Elle l’avait regardé de nombreuses fois, apprenant l’histoire de ses ancêtres. Elle connaissait les dates de chacun. Pourquoi donc avait-elle besoin de se tenir ici pour vérifier ? Lui avait-il vraiment fallu avoir la preuve sous les yeux pour accepter cette vérité qu’elle connaissait ?

A chaque naissance d’un Ravenswood, un autre mourrait.

02

Lorsque tombe la foudre

L'Orphelinat de Saint-James à Blackthorn, situé sur les landes désolées du Devonshire, était un lieu où le bonheur et le malheur semblait s’entredéchirer. Alors que les très saintes sœurs du couvent priaient et que les rires des enfants retentissaient, le malheur fit une apparition tonitruante.

En ce jour fatidique de l'an de grâce 1821, nul n'aurait pu prédire l'étrange calamité qui allait s'abattre sur ses innocents pensionnaires. Le ciel, d'un bleu limpide, ne laissait présager aucun orage. Les enfants, vêtus de leurs modestes habits bien entretenus par les sœurs, s'ébattaient dans la cour sous l'œil vigilant de sœur Marie-Rose, à la douceur et la patience infinies.

Soudain, sans crier gare, un éclair d'une blancheur aveuglante déchira l'azur, frappant le sol entre quatre jeunes enfants. La foudre, comme animée d'une volonté propre, semblait danser d'un enfant à l'autre, les effleurant de ses doigts électriques. Un cri de terreur s'éleva de la cour tandis que les quatre petits corps tombaient à terre.

Sœur Marie-Rose, paralysée par la stupeur, ne put que contempler, impuissante, ce spectacle surnaturel. L'air était chargé d'une odeur âcre de soufre et d'ozone et d’une légère odeur de brûlé. Reprenant ses esprits, la brave sœur évacua les cinquante autres enfants de la cour et appela ses sœurs. Ayant entendu le coup de tonnerre, plusieurs accourraient déjà. La mère supérieure elle-même arriva, ayant vu l’éclair lumineux de son bureau. Elle donna rapidement ses ordres.

- “Sœur Marie-Elisabeth et sœur Marie-Thérèse, prenez en charge les enfants. Emmenez-les à la prière pour qu’ils en appellent à la paix de Dieu. Soeur Marie-Rose, venez, nous devons nous occuper des 4 pauvres petits touchés.”

Ce ne fut que lorsqu’elles se furent approchées des quatre victimes que les réponses sur ce phénomène étrange commencèrent à apparaître. Elles reconnurent toutes deux les enfants, de petits chenapans qui leur causaient bien du fil à retordre. Quatre petits filous de première, des catholiques qu’elles n’avaient pu refuser d’abandonner à leurs sorts après la mort de leurs parents respectifs.

Les sœurs y virent là un signe de dieu, une punition divine. Elles se signèrent et prièrent pour le jugement de ces pauvres petites âmes que le destin avait délaissé.

L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais il fallu que certains officiels, en recherche de reconnaissance, demandent une enquête. Un détective renommé et un grand scientifique furent dépêchés trois jours plus tard. Le détective interrogea les sœurs et les enfants, témoins oculaires de la scène. Le scientifique installa des instruments étranges, se débattant avec certains petits curieux.

- ”Monsieur, qu’est-ce que vous installer ? C’est pour chasser le démon ?

- Ce sont des instruments de mesures climatiques, expliqua patiemment l’intelligent docteur en science. Pourquoi parlez-vous de démon ?

- A cause de la foudre. Elle a pris la forme d’un enfant pour frapper Albert, Thomas, Jim et William. C’est vrai ! On l’a dit aux sœurs, mais elles ne nous ont pas cru.

- La forme d’un enfant, répéta l’homme, sceptique.

- Vous ne nous croyez pas non plus, monsieur, c’est ça ? gémit l’un des enfants.

- Si, si, bien sûr que je vous crois,” se reprit cet esprit logique. Toute information devait être prise en compte et analysée, aussi farfelue semble-t-elle. Si la foudre avait semblé prendre une forme, peut-être que cette forme pourrait aider à comprendre d’où venait la foudre. Aucune hypothèse ne devait être écartée.

- ”Même que le démon, c’est un démon vengeur envoyé par dieu pour les punir d’avoir trop embêter Jack, renchérit un autre enfant.

- Jack ?

- Lui, pointa du doigt un troisième enfant. Albert l’embêtait beaucoup et les trois autres aussi. Ils étaient méchants avec lui.”

Le distingué scientifique se dirigea vers Jack, espérant avoir quelques précisions. Ayant gardé en main un de ses instruments, le petit garçon recula instinctivement, impressionné par cet outil étrange.

- ”Bonjour Jack…

- Ne vous approchez pas, le coupa celui-ci en levant une main.

- Jack, je souhaite simplement te parler de…

- Si vous vous approchez plus, vous serez foudroyés comme les autres. Il me protégera !

- Il te protègera ? De qui parles-tu ?”

Le bon docteur eut à peine le temps de finir sa question que le tonnerre retentit accompagnant un éclair qui illumina la cour, exactement comme trois jours auparavant. Lorsque la lumière se dissipa, le détective découvrit son associé à terre, l’odeur âcre de soufre et d'ozone emplissant à nouveau l’espace.

L’hôpital réussit à sauver l’homme. Le jeune Jack fut mis à l’isolement pour le protéger le temps qu’un prêtre vienne l’exorciser.

Pourtant, quand celui-ci se présenta devant la cellule, elle était vide. Jack avait disparu. Les sœurs assurèrent l’y avoir vu en amenant le repas du matin. Jack les avait même salué très poliment, comme il le faisait toujours. Personne n’avait pu lui ouvrir, seule la mère supérieure avait la clé. L’orphelinat et le couvent furent fouillés de fond en comble, aucune trace de l’enfant ne fut découverte.

Dans les jours qui suivirent, d'étranges rumeurs commencèrent à circuler. Le mystère de la foudre tombée d'un ciel sans nuage, provoquée par un enfant possédé allait hanter les esprits pendant des générations, laissant une empreinte indélébile dans les annales du surnaturel.

03

Poème De l’amour et de la mort

Dans les profondeurs mystérieuses de la nuit, 
Se joue un drame ancien, celui d’un homme trahit. 
Une dame ensorcelante au regard esbroufeur, 
Cache en son cœur sournois un secret trompeur.

Son époux, noble et fier, ignore ces soirées 
Où sa douce moitié, aux lèvres enivrées, 
Danse avec un jeune homme aux yeux de velours, 
Dans ce cocon d’anciens et nouveaux amours,

Murmurant de folles promesses et mots doux 
Échangeant des serments à l'abri du fidèle époux. 
Là, où silencieusement règnent les secrets, 
L'honneur se déchire en silencieux regrets.

Mais la valse s'achève et l'aube paraît, 
Le rideau se lève, la vérité renaît. 
Car dans ce monde austère aux saines vertus, 
Les cœurs infidèles sont toujours reconnus.

Dans les mœurs corrompues où meurent les serments, 
Ne restent que les cendres des faux sentiments. 
Les amants s’éteignent lorsque jaillit la lumière, 
Disparaissant, avec leur honte, derrière la pierre.


V. V. Voil n'est pas la poétesse à l'origine de ce poème, elle s'est contentée de le réécrire. En effet, une de ces amies du Cercle des écrivaines futures, Willemina Farsworth, a connue une fin tragique (ou faim tragique vu qu'elle est devenue vampire...) et son rêve, ainsi que celui de son père, durant son vivant était de publier ses poèmes. V. V. ayant demandé de l'aide à M. Farsworth pour fuir un mariage arrangé, elle a proposé de retravailler les poèmes pour les faire publier en remerciement.

04

Tombe et amoureux


Le manoir Goodworth était réputé car il était la demeure du grand marchand d’art William Goodworth. Sa galerie accueillait les plus grands artistes d’Angleterre et du monde et lançait les carrières de jeunes peintres inconnus et remarquablement talentueux. Sa maison était elle-même une galerie d’art de premier ordre, exposant une collection qui émerveillait chaque visiteur.

Le maître des lieux, Lord William Goodworth, n’avait plus comme famille que sa fille chérie Philomena, une belle jeune femme aux cheveux d’or et à la vivacité joviale. Son père tenait à elle comme à la prunelle de ces yeux. Il avait alors tenu à éduquer l’unique héritière de son empire marchand comme le frère qui avait disparu bien trop tôt. La jolie Philomena fut ainsi élevée comme aucune autre femme, recevant une éducation féminine digne des meilleures épouses et une éducation masculine la rendant apte à diriger la galerie Goodworth. Les arts et les secrets du marché n’eurent plus aucun secret pour elle arrivée à l’âge adulte.

Pourtant, si elle était intelligente, compétente et perspicace, elle n’en restait pas moins ignorante sur un point que jamais son cher père n’avait abordé avec elle. Les émois de l’amour lui étaient totalement inconnues. Alors que son vingtième anniversaire approchait, sa vie allait basculer sans que rien ne la prépare à ces évènements.

Par une douce soirée d'été de l'an 1845, l’esprit chargé d'espoirs et de rêves, Philomena aux yeux joyeux et aux lèvres rieuses se préparait à la fête. Son cher père, cet homme généreux, avait organisé un dîner magnifique en son honneur. Marchands d’art, artistes, mondains, tous seraient réunis pour assister à ces débuts à la galerie comme assistante de son père. Car, même si cela faisait plusieurs mois maintenant que la jeune femme aidait son père, ce soir, elle serait présentée officiellement, entérinant sa position d’héritière. L’excitation faisait battre son cœur, impatiente de prouver à son père et au monde entier qu’elle saurait se montrer digne et faire fructifier la galerie.

Son entrée fut applaudie. Les nombreuses bougies illuminait le hall, le plongeant dans une atmosphère chaleureuse. La belle Philomena prit le temps de saluer chacun des convives, connaissant la majorité elle fut heureuse de les trouver présents à ce dîner en son honneur. Les Birdwhistle, dont madame était une fervente admiratrice de William Etty, lui présentèrent de chaleureuses félicitations. Madame se désola tout de même que son peintre préféré n’ait pu venir et encouragea la jeune femme a travaillé avec lui dans le futur.

Alors que Philomena s’approchait d’un nouveau groupe de convives, un gentleman aux cheveux de jais et à la peau pâle attira son regard. Voilà un homme qu’elle n’avait jamais rencontré, et oh Lord, elle s’en serrait souvenu si elle l’avait ne serait qu’aperçu. D’une beauté sans pareil, un sourire fin et agréable, ce jeune homme captiva toute entière l’attention de Philomena, ignorante des affres de l’amour. Elle fut soufflée par l’apparition de ce bel homme, ne voyant plus que lui. Comme dans un rêve, les yeux d’un bleu profond, tel un océan accueillant, se tournèrent vers elle et, d’un levé de verre, l’objet de sa curiosité la salua en souriant. Peu maitresse de ses actions, Philomena se sentit approcher et s’entendit se présenter. En retour, elle apprit le nom de ce beau jeune homme : Esteban De La Riviera. Un nom peu anglais prononcé avec un léger accent chantant qui ajoutait un charme mystérieux à cet apollon. La jeune femme ne put malheureusement profiter plus de cette rencontre, son cher père la demandant.

Lord Goodworth, richement apprêté en l’honneur de sa fille, lui présenta son compagnon de discussion : Sir George Alanware, un homme austère dont le visage grave dissimulait une profonde mélancolie. Ses yeux gris, pareils à un ciel d'orage, semblaient porter le poids d'innombrables secrets. La jeune Philomena ne put réprimer un frisson d’effroi. Quelque fut le passé de cet homme, il était empli de noirceur.

- "Ma très chère enfant, comme tu le sais, ton bonheur, ton avenir et ton mariage me tiennent à cœur. Même si ton départ me causera un grand chagrin, je me dois de te trouver un parti qui saura te satisfaire. Qui plus est, mon bon ami George a un œil artistique ma foi bien développé et un bon réseau, il sera en mesure de gérer la galerie aussi bien qu’un Goodworth. Accepterais-tu de passer quelques instants avec lui pour faire connaissance ?”

La pauvre Philomena frissonna à nouveau. Partager ne serait-ce qu’un instant avec cet homme si froid alors même qu’elle venait de rencontrer une chaleur divine ressemblait à une épreuve insurmontable. Il lui fallu toute la bienséance vertueuse anglaise pour réussir à étirer les lèvres en un léger sourire et répondre un simple “Bien sûr, Père.”

Oh, que ces quelques minutes lui parurent interminables et pénibles. M. Alanware n’était pas un bavard et elle-même se trouvait dans l’incapacité de formuler le moindre mot, intimidée par cet homme qui semblait avoir trop vécu. Le silence fut pesant, brisé par une courte phrase de félicitation de la part de cet homme à l’atmosphère angoissante. Philomena, habituellement si joyeuse et vive, ne put que murmurer un remerciement. Heureusement pour la jeune femme, son compagnon s’excusa et s’éloigna. Discrètement, Philomena soupira de soulagement, rassurée du départ de cet homme étrange.

- "Vous voici enfin seule, mademoiselle. Permettez-moi de reprendre notre conversation si malencontreusement interrompue précédemment.”

Cette voix. Elle ne l’avait entendu que lorsqu’il s’était présenté, mais elle la reconnaissait déjà. Esteban de la Riviera. La pesante angoisse de Philomena s’envola en un instant, disparaissant face à une sérénité bienvenue. Elle accepta le verre que lui tendait ce beau jeune homme.

- "Une femme à la tête d’une galerie d’art, cela se voit peu. Toutes les personnes présentes ce soir disent beaucoup de bien de vous et de vos dons pour l’art. Vous auriez l’oreille parfaite musicale pour la peinture. Ce serait l’œil parfait, non ? Avez-vous une telle expression en anglais ?”

La jeune femme hésita, troublée par cet inconnu qui lui adressait tant de compliments et qui affolait son cœur.

- "Nous n’en avons pas.” Elle marqua un temps de pause. “Les rumeurs sont bien exagérées. Je me contente de comparer les tableaux et peintres aux demandes et attentes des amateurs d’art. Ainsi, je m’assure que chaque œuvre plaira et trouvera preneur.”

- "Une calculatrice donc. Analyse et réflexion. J’aime cela. Mademoiselle, vous m’intéressez grandement. J’espère que vous me permettrez une seconde rencontre.”

Il fallut à la jeune Philomena la mobilisation de toute sa volonté pour qu’elle ne se trouve pas interloquée devant l’impudence de ce jeune homme, pourtant si beau et bien sur lui. Comment pouvait-on dire ceci à une femme alors même qu’on ne l’avait pas rencontré depuis plus d’une heure ? Et pourtant, Philomena était flattée d’attirer son attention, elle tombait sous son charme. Elle n’eut cependant pas l’occasion de répondre car il s’inclina et s’excusa. Le fin de ce dîner se déroula avec une Philomena perdue dans ces pensées.

Par une brumeuse soirée d'automne, alors que l'orage grondait au-dehors et que la jeune lady tentait de se plonger dans la lecture, elle reçu une visite inattendue dans la bibliothèque. La lueur des chandelles dansait sur les reliures anciennes tandis que son cœur s’affolait. Le bel espagnol se tenait devant elle, fier, un léger sourire aux lèvres et un regard de feu.

- "Monsieur de la Riviera, que faites-vous ici ? s’étonna Philomena. Comment êtes-vous entré ?

- "Mais je suis venu vous rendre visite, ma chère. Il m’est dur de me tenir éloigner de vous.”

Le cœur de la jeune amoureuse s’emballa à ces mots. Si cet homme était sincère, elle donnerait tout pour pouvoir rester à ses côtés. Encore sous le choc de si envoûtantes paroles, Philomena sentit sa main être capturée par des doigts délicats et frais pour un doux baiser. Ce geste l’a fit rougir violemment et réagir :

- “Monsieur, ceci est très inconvenant. Nous ne nous fréquentons pas officiellement.”

Pourquoi avait-elle formulé ce reproche ainsi ? Ne sous-entendait-elle pas par ces mots qu’elle souhaitait que leur relation s‘établisse ? Ils ne s’étaient rencontrés qu’une fois, et même si ce qu’elle ressentait ressemblait à ces “transports de l’âme” décrit dans les romans, elle se devait de rester maîtresse d’elle-même.

- "Ma chère Philomena. Si je pouvais crier au monde entier mon intérêt pour vous sans entacher votre honneur et celui de votre nom, je le ferais. Mais les conditions ne sont pas réunies pour une telle annonce, n’est-ce pas ? Je vous assure cependant, ma chère, que je suis sincère envers vous. Vous m’intéressez et je souhaite faire partie de votre vie.

- "Elle est à vous”, souffla Philomena l’âme chavirée par cet homme élégant et charmant.

La jeune femme ne pouvait résister, elle sentait les papillons dans son ventre et son cœur s’enflammer. Cet homme était son futur, elle en était persuadée. Mais il lui fallait obtenir l’autorisation de son si cher père.

La soirée avait été magnifique. Ils avaient pu parler de nombreux sujets avant que Esteban de la Riviera ne s’excuse et la laisse à ses rêves d’un futur commun. Une boule au ventre venait tout de même assombrir le bonheur de Philomena. Il lui fallait parler à son père, son cher père qui ignorait tout de cette relation naissante.

Le lendemain, alors que le cœur de la jeune Philomena était encore toute retournée de la nuit, se présenta Sir George Alanware pour l’heure du thé. En effet, Lord Goodworth souhaitait ardemment que sa chère fille apprenne à apprécier son ami autant que lui. Passer derrière l’apparence pour découvrir son vrai lui, voilà ce qu’avait dit ce père soucieux du bonheur et de l’avenir de sa fille. Ignorant qu’il était des nouveaux sentiments de Philomena, il accueillit Sir Alanware avec enthousiasme et l’installa au petit salon.

La jeune Philomena, confuse par la situation, s’assit gracieusement aux côtés de son père. Elle ne désirait aucunement connaître plus avant cet homme pâle et froid, alors qu’elle connaissant la chaleur des yeux et des paroles d’un autre homme. Mais elle ne pouvait s’opposer si facilement à son père.

C’est après cette heure du thé que Philomena, le cœur battant se décida à parler à son père si cher à ses yeux.

- "Père, je dois vous parler. Promettez-vous de m’écouter et de ne point vous fâcher ?

- Ma chère fille, tu peux tout me dire. Est-ce à propos de notre ami Sir Alanware ?

- Le sujet que je m’apprête à aborder le concerne en effet, sans qu’il en soit le point central cependant.

- Que veux-tu dire, ma fille ? Le bon George n’a pas encore réussi à acquérir tes faveurs ?

- Je dois vous avouer, mon cher père, que Sir Alanware provoque en moi des frissons. L’inconfort est présent à chaque rencontre. Il est, je ne vois que cette manière de le décrire, froid dans son être. Mais ce n’est pas ce que je voulais vous annoncer. J’ai rencontré un homme qui fait palpiter mon cœur.

La description chaleureuse que fit Philomena de ses amours grandissants ne suffirent cependant à convaincre entièrement son père.

- "Ma fille, je dois te faire part de mon désappointement. Cet espagnol est bien peu civilisé pour oser séduire ma fille sans même se présenter à moi de façon convenable. Tant que cet homme n’aura pas réparé cette erreur, un de nos domestiques sera en permanence en ta compagnie pour que la situation honteuse dans laquelle il t’a mise ne se reproduise pas. Et je m’impliquerai moi-même dans cette surveillance.”

Le bon lord Goodworth se tint à cette décision, inébranlable.

Le destin de deux âmes solitaires se joua séparément, l’une dans la belle demeure Goodworth, l’autre perdue dans le Londres mondain, tandis que les feuilles de fin d'automne tourbillonnaient dans le parc.

Les jours s'écoulaient lentement au rythme des soupirs languissants et des espoirs déçus. La jeune Philomena se morfondait de l’absence de son beau jeune homme, son cœur se fragilisant de ne pouvoir revoir son élu à la voix aimante.

La vie, grande puissance décidante, intervint aux premiers jours de neige. Le bon lord Goodworth découvrit un matin sa si chère fille toute affaiblie dans son lit, d’une pâleur inquiétante, une goutte de sang tachant le haut de son drap.

Tous les bons soins qu’il pu fournir à sa fille n’en firent rien. Philomena dépérissait chaque nuit un peu plus, devenant plus pâle et faible chaque matin.

C’est un jour où le temps s’adoucissait, annonçant l’arrivé du printemps et du renouveau, que l’enterrement eu lieu. Chaque jour après cela, Lord Goodworth se rendit sur la tombe de sa cher fille, mais jamais il ne remarqua le morceau de tissu blanc déchiré accroché à un buisson proche. Il possédait pourtant les mêmes dentelles qui habillaient Philomena lors de son dernier adieu.

05

Au retour de la guerre

Cinq jeunes hommes bien portants, motivés, engagés pour défendre le pays.

Cinq hommes qui deviennent frères d’armes, car le danger, la mort les a rapprochés autant qu’une vraie famille.

Cinq hommes qui reviennent de la guerre et qui reprennent leurs vies normalement, loin des horreurs de la guerre pourtant encore si présentes dans leurs esprits.

Un mari qui devient un inconnu pour sa femme, remplaçant l’amour et la douceur par la violence et les cris.

Un frère qui évince son aîné pour reprendre les rênes de l’entreprise familiale, condamnant un homme et sa femme à la rue.

Un amant qui rejette sa fiancée pour s’amuser avec des femmes qu’il ne reverra jamais.

Un homme qui s’enferme dans sa solitude, chassant toute main tendue.

Un fils qui cherche à réunir sa famille brisée et en provoque la perte.

Cinq vies sauvegardées de la guerre mais cinq familles détruites par la guerre.